Cabinda.jpgOui, j’avais, caché au fond de mon armoire, mon petit lapin en peluche et ma poupée de Cabinda en tissu. Je redoutais d’être découvert. Mes tendresses enfantines me semblaient être un terrible handicap dans ce monde qui, à défaut d’être adulte, était déjà si violent.

Pourtant, quoique n’ose se l’avouer nombre d’internes, peu d’entre eux se passe d’objets fétiches, chiffons transcendantal et autres grigris et amulettes. L’âge venant on sait porter son attention sur des objets d’apparence anodine. Pour ma part je ne pouvais me séparer de ces deux amis essentiels qui avaient déjà accompagné ma solitude en home d’enfant l’année précédente (janvier-mars 1967). Le lapin avait vécu, usé, brûlé, il ne gardait toute sa douceur que protégé d’une bande de gaze réparatrice. Il était à lui seul une blessure de l’âme. Il s’appelait Lapino. Par prudence je ne vins en septembre qu’avec lui. Mais dès la fin du premier trimestre je récupérais ma poupée. Elle avait été fabriquée par ma mère à Cabinda, sur la cote congolaise, en juillet 65. Lors d’une escapade, alors que nous vivions à Léopoldville qui ne s’appelait pas encore Kinshasa. Un drame y survint. Une mère périt noyée dans les énormes rouleaux de l’océan atlantique. Elle avait tenté et réussi à sauver son fils. Épuisée, elle ne parvint pas à se sauver elle-même. J’avais 9 ans. Comme lui. Ma mère le recueillit avec sa jeune sœur pour soulager leur père durant les premières heures et jours qui suivirent. Elle lui fabriqua une poupée de chiffon. Puis elle m’en fit une pour moi. Quelques temps après, ma mère partie en sanatorium, longtemps, profondément minée par le bacille de Koch. Cette poupée, c’était pour moi, avec ma sensation plus qu’avec ma conscience, « l’éternel féminin ». Celui qui vous envoûte. Celui qui vous aime sans limite. Celui qui vous abandonne à votre désespoir. Précieux grenier que le notre, il me l’a rendu il y a quelques années, mitée, mais égale à elle-même. Éternelle.

Et je sais que je n’étais pas le seul à cacher de tels secrets affectifs au fond de mon armoire cadenassée...