13 juillet 1925. Barcelone, Espagne. Une mère d’origine paysanne et un père ouvrier anarcho-syndicaliste engagé. A 14 ans, il connaît Garcia Lorca par cœur et a de bonnes notions d’histoire de l’art. Le 2 février 1939, il franchit la frontière française, contraint de fuir avec sa famille devant Franco. Comme de nombreux réfugiés espagnols, passage obligé par les camps d’Argelès, Saint-Cyprien et Rivesaltes.

En janvier 1942, il fait partie des premiers «étudiants» accueillis à la Maison des Roches. Il y restera pendant les 18 mois d’activité de cette maison, jusqu’à la rafle du 29 juin 1943. Après la rafle, Antonio s’est mis au service de la résistance mais très vite il tombe malade et se retrouve paralysé du bassin et des jambes. Soigné en Suisse, il y reste deux ans au bout desquels il sait qu’il va rester paralysé.

Fin 1946, Antonio revient au Chambon. Professeur au Collège Cévenol de 1948 à 1964. Amitié avec un autre enseignant, le philosophe Paul Ricœur. Il initie aussi les élèves au dessin et à la céramique, commence à peindre. Exposition à Los Angeles. Président de l’association des «anciens» du collège où son investissement a marqué l’établissement. 1965 : Montpellier ; c’est le début de sa période artistique la plus féconde. Elle va durer une dizaine d’années.

En 1966, il s’établit à Péages du Roussillon et rencontre Marie qui devient son épouse. Mai 1966 : première exposition à la galerie Da Silva à Marseille (trois autres suivront), puis une au Chambon, trois à Péages du Roussillon (1966-67-68), une à Montélimar (1967) et trois à Paris (1968-69-70), Galerie Bourgogne, Pavillon de Flore, Palette bleue.

Fin 1969, il s’installe à Marseille puis en 1971 à Cannes-la-Bocca, et expose chez lui. Après 1973, il ne peint plus que sur commande. En 1975 il se retire dans sa villa de Pégomas.

Source : Les Carnets des Roches, n° 0, mai 2008


Article de Philippe Réfabert sur Antonio Plazas, paru dans Les Carnets des Roches, n° 0, mai 2008, à l’occasion de l’exposition de trois artistes réunis aux Roches en 1943

Le siècle, à mi course, faisait une pause. La bête reprenait son souffle.
Je rencontrai un témoin.
Je le sentis mais ne le sus pas tout de suite parce qu’Antonio Plazas devait laisser à l’adolescent que j’étais le soin de découvrir le visage du siècle. Et les cinquante millions de morts qu’avait suicidés le continent européen dans sa recherche frénétique du Bien. Un «Bien» qui s’était donné les moyens du pire.
Antonio Plazas témoigne de ce que le siècle a pu produire de meilleur : la «petite bonté» associée au sens de ce qui est juste. Et avec la petite bonté, la retenue souveraine comme il sied à tout «allié substantiel» (René Char).
La rumeur disait qu’il avait été découvert dans une salle commune, rescapé de la guerre d’Espagne, dans le coma, en état de malnutrition. Là, quelqu’un l’avait veillé - m’avait-on dit -, trois jours et trois nuits, à lui parler, à entrer en concertation rythmique avec lui.
Antonio Plazas a la puissance souveraine de celui qui avait su accueillir la «petite bonté» d’un juste. Parce qu’il était lui-même le dépositaire, et de la puissance et de la justice. Je les retrouve dans son œuvre picturale.
Avec sa tendresse armée, Antonio Plazas transmet la ferveur qui le porte à la hauteur de Federico Garcia Lorca, celui qui chante la nuit des Gitans quand surgit la Guardia Civil.

Cuando Hegaba la noche
Noche que noche nochera

[quand arriva la nuit /la nuit qui sera plus que nuit]

Et je perçois dans ses tableaux une résonance avec le Romancero Gitano, ce poème qui célèbre la violence vitale et l’intarissable colère de l’artiste contre ceux qui la bafoue. A seize ans Antonio Plazas avait rencontré « une réalité à qui parler » comme dit Celan. De ce lieu qui est un non-lieu car un lieu où les horloges sont arrêtées

Los relojes se pararon [où les horloges s’arrêtèrent]

n’est pas un lieu où vivre, de ce lieu, il n’était pas revenu brisé mais animé d’une rage enjouée, celle qui « forge flèches et soleils » dans la nuit des Gitans

Cuando llegaba la noche
Noche que noche nochera.

Avec cette rage il peint, dans les tons sombres des Goya de la guerre civile, un homme de la Guardia Civil, un de ceux qui ne pleurent pas parce qu’ils ont la tête de plomb

Tienen por eso no lloran
de plomo las calaveras.

[ils ont les têtes de plomb / pourquoi ils ne pleurent pas]

Au revers de sa veste, me dit Antonio, le garde civil porte une tête de mort, en plomb. Le garde du tableau, grosse moustache et yeux écarquillés comme ceux de la Méduse, tient dans la main droite un crucifix et dans la gauche un fusil. Symbole du formidable coup de force qui depuis Constantin autorise la confusion du pouvoir et de la transcendance. Piège où des millions ont été broyés par ce montage romano-chrétien — et par privilège les peuples qui refusaient cet ordre, le juif, le gitan et leurs alliés (Le tableau est intitulé Le Garde Civil et porte en sous-titre le distique de Lorca, il appartient à l’artiste).

Suzanne et les vieillards
Ronds les yeux, ceux de la Méduse encore, hirsutes les crinières, et fauves et riches d’une pâte épaisse dans les ocres, les briques, les rouges. Le peintre met son art au service de l’incendie où crépitent, jetés dans la chevelure des vieillards, les appels à l’angélisme et toutes les incantations à la pureté dont notre siècle s’est gavé.

Pero la Guardia Civil
Avança sembrando hogueras
Donde joven y desnuda
La imagination se quema

[Mais la Garde Civile / avance semant incendies/
où jeune et nue/ l’imagination se brûle]

Et le duende, dont nous parle Lorca dans une prose, n’est pas affaire d’ange, ni de muse, mais d’un soulèvement critique où l’artiste, animé, de la plante des pieds à la gorge, par la respiration de l’univers, transmet au spectateur le rythme âpre d’une existence humaine qui ne nie pas la mort mais la respecte pour y objecter.