Le camp ne manquait pas d’aventures non plus. L’atmosphère était sympathique tout comme les dirigeants et les « esclaves ». Il s’agissait d’aider les Castors à construire leurs maisons.
À la demande des esclaves eux mêmes, la journée de travail fut proclamée de 8 heures, je commençais à m’angoisser, moi qui comptait faire un peu de tourisme ! On s’y fait, et travailler entre copains, c’est s’amuser. Même étant du métier j’ai beaucoup appris dans le bâtiment (vu du côté de l’ouvrier). J’ai vu fonctionner la petite machine à coffrer et vibrer les parpaings (attention, discussion, au sud de la Loire les parpaings sont des pierres et les agglomérés de béton sont des moellons (pour avoir la paix j’ai fini par dire les agglomérés). Ils étaient pleins, mais pas trop lourds quand même, puisqu’ils étaient composés d’un agrégat de pouzzolane isolante et légère. Ils étaient moulés un à un, et la machine a dû tourner longtemps dans un tintamarre infernal, parce qu’il fallait le temps de prise avant de démouler.
J’ai appris à mes dépens qu’après avoir porté des sacs de ciment il ne fallait pas se mouiller les mains, mais se les savonner. J’ai appris à voliger (pose de planches jointives), latter (comme il ne fallait pas faire, car il aurait fallu des contre lattes, principe de précaution, pour garantir la ventilation sous les tuiles et éviter leur gel, enfin je crois qu’elles sont toujours là quand même). J’ai appris à tuiler (la maison la plus proche du chemin de la route à Luquet), me fiant à l’emboîtement de ces tuiles mécaniques, et comme de près on ne voit pas ce qu’on fait, le travail fini vu de loin était quelque peu rustique. Repassant quelques années après je l’ai trouvé parfaitement droit (bon vieillissement, ou quelqu’un était peut être repassé après moi).
Après une semaine de travail assez assidu nous avons eu le cinéma du village le dimanche soir. Là belle surprise, la fin des hostilités au Viet Nam était signée par Mendès France, et que voit-on aux actualités : « la bataille fait rage à Dien Bien Phu ». Horreur ils ont recommencé ?? Dans les petits trous de Province, les actualités passent tout simplement avec plusieurs mois de retard. Et pour bénéficier d’un bon film on leur faisait avaler quelques navets. Les soirées sont fraîches au Chambon même en plein été. En revenant j’ai attrapé une angine, ce qui m’a donné le plaisir de connaître l’intérieur de la maison de poupée de M Wiesbar devenue infirmerie, et l’infirmière Melle Marion, que certains disent acariâtre ; en bon fils de médecin je doutais de leurs diagnostics et je faisais part à Anne Bookholt de ma surprise sur l’allure inhabituelle des comprimés avalés, et Anne, comme une grande sœur, me répondit et rassura : « bonne infirmière mais sourde comme un pot ».
Pierre De Richement se complaisait à se bigorner avec Jim Bean, et le ton montait quelquefois jusqu’à une formidable colère feinte de Jim, qui était ensuite désolé parce que les allemandes l’avaient pris au tragique et en étaient toutes pâles. Je peux me permettre maintenant d’avouer que, grand naïf, je n’étais pas très rassuré pendant cette scène.
Puis il pensaient aux activités culturelles, visites de conférenciers : pour l’un d’eux Pierre Vernier nous avait prévenus, il a la diarrhée verbale, il faudra l’arrêter. J’ai guetté la première fin de phrase et au bout de 5 minutes déclenché les applaudissements, suivis frénétiquement. L’érudit était à la fois fier de son succès et déçu de ne pas finir son récit.
Viennent les invitations à dîner chez les castors tirés au sot, je me rendais avec une allemande chez le cantonnier du village dans une masure du centre (surement maintenant maison de charme), apparaissent sur la table des espèces de gros trucs ressemblants à des navets ou rutabagas grossièrement tranchés, c’étaient en fait d’excellentes pomme de terre frites « mégalithiques) ».
Puis voilà les journalistes qui s’en mêlent : je travaillais seul avec Pierre Vernier au mortier, lorsque le reporter nous demanda nos impressions. Je vantais la bonne entente entre castors qui s’entre aidaient, et Pierre se mit à tousser et racler de la gorge « tu es bien naïf », et tous trois d’un commun accord avons attesté de la bonne entente générale.

RETROUVAILLE AVEC DELPHINE..
J’étais au cinéma pour voir avec ma femme Lucile le film « l’Année dernière à Marienbad » lorsque au générique je poussai un cri « mais c’est ma copine », Lucile pas au courant m’a fait pchitt pshitt et tout le monde m’a pris pour un fan. En plus c’est son frère Francis qui avait composé la musique.