1954 - CAMP DE CONSTRUCTION
par Jean Claude Allin, ancien élève
Direction : Pierre Vernier, Jim Bean, Daniel Lys, Tom Johnson. Camarades : Presque tous étaient allemands, et quelques anciens : avec des deux boute en train qui ont fait l’esprit du séjour : Pierre Méchinet De Richemond, la langue bien pendue, tandis que son frère aîné Paul était calme et discret, et Yves ( ?) Pouget dit le casseur. Deux filles paroissiennes comme moi de Paris Luxembourg : Anne Bookholt et Antoinette Berton, complaisantes et serviables. Et puis un sympathique libanais avec un délicieux accent méridional à couper au couteau, quand il parlait de son pays nous entendions le « lit banane », on le mettait en boîte, lui plaisait. Jim Bean prenait régulièrement une voix éraillée pour clamer « au boulot les esclaves ».
À la demande des esclaves eux mêmes, la journée de travail fut proclamée de 8 heures, je commençais à m’angoisser, moi qui comptait faire un peu de tourisme ! On s’y fait, et travailler entre copains, c’est s’amuser. Même étant du métier j’ai beaucoup appris dans le bâtiment (vu du côté de l’ouvrier). J’ai vu fonctionner la petite machine à coffrer et vibrer les parpaings (attention, discussion, au sud de la Loire les parpaings sont des pierres et les agglomérés de béton sont des moellons (pour avoir la paix j’ai fini par dire les agglomérés). Ils étaient pleins, mais pas trop lourds quand même, puisqu’ils étaient composés d’un agrégat de pouzzolane isolante et légère. Ils étaient moulés un à un, et la machine a dû tourner longtemps dans un tintamarre infernal, parce qu’il fallait le temps de prise avant de démouler.
J’ai appris à mes dépens qu’après avoir porté des sacs de ciment il ne fallait pas se mouiller les mains, mais se les savonner. J’ai appris à voliger (pose de planches jointives), latter (comme il ne fallait pas faire, car il aurait fallu des contre lattes, principe de précaution, pour garantir la ventilation sous les tuiles et éviter leur gel, enfin je crois qu’elles sont toujours là quand même). J’ai appris à tuiler (la maison la plus proche du chemin de la route à Luquet), me fiant à l’emboîtement de ces tuiles mécaniques, et comme de près on ne voit pas ce qu’on fait, le travail fini vu de loin était quelque peu rustique. Repassant quelques années après je l’ai trouvé parfaitement droit (bon vieillissement, ou quelqu’un était peut être repassé après moi).
Après une semaine de travail assez assidu nous avons eu le cinéma du village le dimanche soir. Là belle surprise, la fin des hostilités au Viet Nam était signée par Mendès France, et que voit-on aux actualités : « la bataille fait rage à Dien Bien Phu ». Horreur ils ont recommencé ?? Dans les petits trous de Province, les actualités passent tout simplement avec plusieurs mois de retard. Et pour bénéficier d’un bon film on leur faisait avaler quelques navets. Les soirées sont fraîches au Chambon même en plein été. En revenant j’ai attrapé une angine, ce qui m’a donné le plaisir de connaître l’intérieur de la maison de poupée de M Wiesbar devenue infirmerie, et l’infirmière Melle Marion, que certains disent acariâtre ; en bon fils de médecin je doutais de leurs diagnostics et je faisais part à Anne Bookholt de ma surprise sur l’allure inhabituelle des comprimés avalés, et Anne, comme une grande sœur, me répondit et rassura : « bonne infirmière mais sourde comme un pot ».
Pierre De Richement se complaisait à se bigorner avec Jim Bean, et le ton montait quelquefois jusqu’à une formidable colère feinte de Jim, qui était ensuite désolé parce que les allemandes l’avaient pris au tragique et en étaient toutes pâles. Je peux me permettre maintenant d’avouer que, grand naïf, je n’étais pas très rassuré pendant cette scène.
Puis il pensaient aux activités culturelles, visites de conférenciers : pour l’un d’eux Pierre Vernier nous avait prévenus, il a la diarrhée verbale, il faudra l’arrêter. J’ai guetté la première fin de phrase et au bout de 5 minutes déclenché les applaudissements, suivis frénétiquement. L’érudit était à la fois fier de son succès et déçu de ne pas finir son récit.
Viennent les invitations à dîner chez les castors tirés au sot, je me rendais avec une allemande chez le cantonnier du village dans une masure du centre (surement maintenant maison de charme), apparaissent sur la table des espèces de gros trucs ressemblants à des navets ou rutabagas grossièrement tranchés, c’étaient en fait d’excellentes pomme de terre frites « mégalithiques) ».
Puis voilà les journalistes qui s’en mêlent : je travaillais seul avec Pierre Vernier au mortier, lorsque le reporter nous demanda nos impressions. Je vantais la bonne entente entre castors qui s’entre aidaient, et Pierre se mit à tousser et racler de la gorge « tu es bien naïf », et tous trois d’un commun accord avons attesté de la bonne entente générale.
RETROUVAILLE AVEC DELPHINE..
J’étais au cinéma pour voir avec ma femme Lucile le film « l’Année dernière à Marienbad » lorsque au générique je poussai un cri « mais c’est ma copine », Lucile pas au courant m’a fait pchitt pshitt et tout le monde m’a pris pour un fan. En plus c’est son frère Francis qui avait composé la musique.
Comments
Simple petit rectificatif: ce n'est pas 1964, mais 1954, qu'a eu lieu ce camp de travail.
ALLINOups ! Je t'avais rajeuni de 10 ans du coup !!!
LaurentCAMP D'ÉDIFICATION CULTURELLE.
ALLINNous n'avons pas fait que du bétonnage au camp 1954.
DÉJEUNER CONFÉRENCE DE ROGER DARCISSAC. Très intéressant récit (sans notes) sur l'histoire du Chambon (le nom viendrait de "courbe" en l'honneur du méandre du Lignon), sur la Réforme et les persécutions, avec chants d'époque et citations, comme la pendaison du lieutenant de Semblançay par l'affreux juge Maillard décrit comme un poltron par Clément MAROT. Mais il est resté tout à fait discret sur le Chambon pendant la guerre 39/45 et son activité que nous ne connaissions pas encore bien à l'époque.
DÉJEUNER CONFÉRENCE du PRÉSIDENT DES CASTORS de ST ÉTIENNE nous relatant son activité de petite industrie de sanitaire et la construction de logements en coopérative. J'ai oublié son nom (peut-être Malécot ?).
J'ai également oublié le nom du fameux bavard cité précédemment, et je ne sais même pas de quoi il avait bien pu parler, de toute manière il n'avait pu terminer son récit.
VIRÉE CULTURELLE et TOURISTIQUE, un dimanche au PUY. Belles visites et promenades dans la ville. Anne Bookholt en bonne infirmière se préoccupait de ma santé comme je sortais d'une petite angine, et s'inquiétait de me voir monter tous les escaliers de la Chapelle Saint Michel-aiguille. Mais tout allait bien.
Le jeune Pierre LÉTAIN (dit tétine, c'est vrai qu'il était dans les petits), ancien du Collège, faisait lui aussi si je ne me trompe partie de l'équipe sympathique des boute-en-train du Camp de construction. Je ne sais pas ce qu'il est devenu plus tard, mais en 1950 lorsqu'il disait au réfectoire à Samuel MOURS, surveillant, qu'il voulait être pasteur plus tard, Samuel lui répondit "les pauvres paroissiens ils vont être rétamés".
ALLIN