Par Gertrude SIEFERT, élève à la Nouvelle Ecole Cévenole durant l’année scolaire 1939-1940, au Chambon-sur-Lignon du 2 janvier 1940 au 13 septembre 1940. (extraits de son journal "Les années de Guerre : 1939 – 1945")



Novembre 1939, mon Lolo –mais appelons le maintenant par son vrai prénom Georges (cela fait un peu plus sérieux pour un étudiant)- est à Clermont Ferrand.
Moi je suis à Saverne toujours sans mon Bac de Philo. Je n’ai pas envie de retourner au collège de Saverne.

Je peux suivre des cours par correspondance. En me renseignant, j’ai deux autres possibilités –soit aller au lycée de Sarrebourg et loger chez ma grand-mère, soit aller à l’Ecole Nouvelle Cévenole au Chambon sur Lignon (Haute Loire). Notre pasteur, Georges Appel a pu contacter la directrice de cette école. En réponse elle m’a proposé de venir : contre quelques heures de surveillance et travaux de secrétariat, je pourrais suivre les cours gratuitement. Il fallait donc trouver une pension à mes frais. bien sûr je choisis cette solution. Cela ne pouvait que m’aider pour mon français. J’ai compris plus tard que c’était la volonté de Dieu et que c’était pour mon bien que le seigneur m’avait envoyé au Chambon sur Lignon.
Je me mis donc à faire mes préparatifs en attendant les vacances de Noël. Georges revint de Clermont Ferrand pour les vacances que nous avons pu passer en partie ensemble.

Ainsi le 2 janvier 1940, je partis en compagnie de mon cher Georges. Lui, il retournait à l’Université de Clermont Ferrand et moi j’allais faire la connaissance du Chambon sur Lignon. Jusqu’à Saint Etienne notre voyage fut très agréable. Là, il fallait se quitter, il prit le train pour Clermont et moi le petit omnibus (CFD) pour Le Chambon sur Lignon.
Arrivée à destination, la nuit était déjà tombée et, après quelques difficultés, je trouvai enfin une pension de famille où je pus avoir une chambre. Là, dans la pension « Les violettes », je me sentis tout de suite à l’aise. Les propriétaires de la pension, Mr et Mme Rochat étaient protestants et avec eux j’ai pu constater que la vraie foi existait encore, non seulement en paroles, mais dans la vie de tous les jours. Dès le début ils m’ont presque acceptée comme un membre de leur famille.
A l’école Nouvelle Cévenole, je fis donc partie de la classe de philo. Les batiments étaient en « préfabriqué » assez simples, mais quand même agréables malgré le froid et la neige. De temps en temps j’avais à surveiller une classe d’élèves et souvent aux week-ends à faire des travaux de secrétaire –copier des textes, m’occuper des bulletins, etc…Cela se passa bien et je fis mon possible pour faire des progrès en classe, surtout en philo. Mes camarades de classe étaient très sympathiques et les professeurs faisaient tout pour rendre les cours agréables et à notre portée. Ils étaient disponibles pour nos questions et nos problèmes.
Le dimanche j’allais avec Mr et Mme Rochat au culte à l’église réformée. Le pasteur, MonsieurTrocmé était aussi mon professeur de philosophie……….
………
La vie au Chambon sur Lignon continua. C’était la guerre, mais on ne le sentait pas trop. Au mois de mars pour les vacances de Pâques, je pensais rentrer quelques jours à Saverne et surtout assister à la confirmation de mon petit frère. Il venait d’avoir 14 ans. Là il me fallait un sauf-conduit et je comptais faire le voyage avec mon chéri. Mais ce n’était pas si simple et j’eus beaucoup de mal à avoir ce sauf-conduit. Beaucoup de déplacements, de démarches pour avoir au dernier moment un sauf-conduit provisoire. Enfin je pus partir et retrouver mon cher Georges à Saint Etienne..
Combien nous étions heureux de nous retrouver après un trimestre de séparation. Le voyage, malgré les arrêts où il fallait viser mon sauf- conduit se passa bien. J’avais écrit à Georges ce qui m’était arrivé, mais pendant le voyage, je pus lui raconter en détail toutes ces heures bénies où j’avais pu me rapprocher de Dieu.
Arrivés à Saverne, Georges me raccompagna chez mes parents car il était presque 11 heures du soir. Le lendemain, 17 mars, était un jour heureux et béni. Mon cher frère fêtait sa confirmation. …….
Pour midi, mon Georges était invité au repas avec la famille et les amis.
Les vacances, bien courtes à notre gré, touchèrent à leur fin et il fallut repartir. Georges et moi purent de nouveau faire le voyage ensemble, mais un long trimestre de séparation s’ouvrait devant nous.
Mon intention était de travailler sérieusement afin de réussir mon examen. Un jour après l’autre le temps passa et déjà le mois de juin arrivait. Toujours la guerre et bien des événements s’étaient passés. Notre examen fut reporté à une date ultérieure.
Hélas notre pauvre pays, trahi et délaissé signa l’armistice. Ce fut le 22 juin 1940 dans la forêt de Compiègne et le maréchal Pétain prit le commandement de la France vaincue. Quelle déception !
Bien qu’écoutant les nouvelles et sachant que les troupes allemandes avançaient nous ne pensions pas à ce dénouement. J’étais bien triste et je ne recevais plus de nouvelles de mes chers parents. Que se passait-il en Alsace ?
Je fus donc sans ressources, mais je savais que je pouvais tout mettre entre les mains de Dieu.
Quelques temps après, le courrier ne passa plus entre Clermont et la Haute Loire. J’étais sans nouvelles de mon cher Georges. Les allemands étaient à Clermont ferrand et recherchaient surtout les alsaciens; aussi partout les jeunes gens prirent la fuite. Je n’avais donc plus aucune nouvelles de mon chéri, ne sachant s’il avait pu fuir ou ce qu’il faisait. Mes lettres me revenaient avec « parti sans laisser d’adresse ». Bien sûr, il m’arrivait de me faire du souci, mais ma foi et la prière m’aidaient.
Après quelques temps, je reçus une lettre de la Creuse. Mon chéri avait fui Clermont et se trouvait chez un ami. Il y aidait avec trois de ses copains à faire le foin. Donc je fus rassurée et je remerciai Dieu.
Il me raconta plus tard de vive voix ce qui lui était arrivé. Après l’arrivée des allemands à Clermont, il y eut une rafle à l’université. Ils cherchaient surtout les alsaciens pour les punir de n’être pas rentrés en Alsace. Georges, ainsi que plusieurs de ses camarades, furent pris et mis en prison. Il n’y resta que 2-3 jours, puis on vint lui dire qu’il était libre. Il ne demanda pas d’explications et partit de suite avec sa valise chez son ami. C’était un vrai miracle. Quelques uns de ses copains ne sont plus jamais revenus.
Les cours de philo avec Mr Trocmé étaient terminés, mais toujours pas de nouvelles concernant les examens. De temps en temps notre professeur donnait une leçon de philo, afin de faire quelques révisions.
Sans nouvelle de mes parents, je restais donc chez mes chers amis Rochat, qui me dirent qu’ils me gardaient comme si j’étais leur fille. Et non seulement cela, mais en plus ils invitaient Georges à venir chez eux pendant les vacances au Chambon-sur-Lignon. Il pourrait ainsi leur donner un coup de main au jardin. Je me hâtais d’écrire cela à mon bien-aimé. Après s’être assuré qu’il ne serait pas à charge de mes amis, il promit de venir « un de ces jours ».
Il arriva donc un matin. Quel bonheur de se revoir. Nous avions tant de choses à nous dire. Mais il fallait surtout songer aux épreuves du Bac fixées maintenant au 28 juillet au « Puy ». Je révisais donc et Georges m’aida pour les maths.
Je n’étais pas rassurée, mais le 27 juillet je partis pour Le Puy. L’examen se passa bien et j’eus assez vite les résultats. J’étais admissible et 8 jours après eu lieu l’oral. A l’oral nous avions juste les matières qui n’avaient pas eu d’écrit. Là aussi tout se passa bien et je rentrai triomphante au Chambon sur Lignon.
Enfin j’étais bâchelière, mais je ne pouvais même pas le dire à mes chers parents. Comme j’étais heureuse d’avoir Georges près de moi. Mme Rochat lui donna une petite chambre à l’annexe.
Pendant la journée, Georges travaillait avec Monsieur Rochat au jardin. De temps en temps il allait à bicyclette dans les fermes des alentours pour chercher du beurre et des œufs.
Le soir nous allions souvent faire une petite promenade et le dimanche nous profitions pour voir ensemble le pays.
Le temps passait, hélas, sans nouvelles de notre chère Alsace et de nos parents. Par la radio nous avions quelques nouvelles des combats, des bombardements et de tous ces malheurs qu’apportent la guerre.
……………….
Ainsi septembre approcha et aussi la nouvelle que les alsaciens pouvaient rentrer chez eux. Des trains de réfugiés les conduiraient en Alsace.
Cette décision me sembla bien difficile, car j’avais peur de ce qui m’attendait là-bas.
Le moment de quitter ce coin tranquille de Haute Loire pour retourner en Alsace était venu. Je devais bien sûr retourner chez mes chers parents en attendant la fin de la guerre.
Pour Georges le problème ne se posa pas. Il resterait à Clermont Ferrand, terminerait ses études et tâcherait de trouver du travail.
Il fallait donc aller dans la ville Du Puy pour avoir tous les renseignements concernant mon départ.
Ayant emprunté 2 bicyclettes, Georges et moi partîmes le 31 août au matin. Le voyage fut très agréable –beau temps avec de magnifiques paysages.
Arrivés Au Puy-en-Velais nous allâmes voir un ami de Georges qui nous avait invités à passer la nuit chez lui. Allant en ville dans différents bureaux on nous donna les renseignements nécessaires. Le train des réfugiés pour l’Alsace devait partir dans moins de quinze jours et on me donna déjà le billet. Après toutes ces démarches, nous avons pris notre repas, puis nous avons passé la nuit chez nos amis. Le lendemain un autre copain de Georges étudiant en mathématiques comme lui nous invita pour le repas. Puis nous avons passé la journée à nous promener et à visiter cette belle ville Du Puy.
Ce jour-là était d’une grande importance pour moi. Devant nous quitter bientôt, Georges m’emmena dans une bijouterie et m’acheta une jolie petite bague, qu’il me mit au doigt, en m’appelant sa fiancée chérie. Ce n’était ni de l’or, ni un diamant, mais pour moi cela valait tous les diamants du monde. J’étais maintenant fiancée et si heureuse – mais quand même triste de cette séparation si proche.
Après avoir visité cette ville si pittoresque Du Puy et remercié nos amis, nous sommes rentrés le lendemain au Chambon sur Lignon.
Maintenant j’avais tous les papiers et il ne nous restait plus que quelques jours pour être ensemble.
Que de choses nous avions encore à nous dire. Mais il fallait aussi préparer les bagages.
Nos amis Rochat ne nous demandaient aucun service, afin de nous laisser passer beaucoup de temps ensemble. J’avais peur de cet « inconnu » qui allait s’ouvrir devant moi. Comment allaient mes chers parents et mon frère ? Il y avait des tas de questions sans réponse. Tous espéraient que cette guerre ne durerait pas trop longtemps.
Ainsi un beau matin la nouvelle arriva que le 13 septembre le train de réfugiés pour l’Alsace partirait à 6 heures du matin Du Puy. Il ne nous restait plus que trois jours. Ma malle était prête et le lendemain quelqu’un l’emmena Au Puy.
Pendant les deux dernières journées j’ai fait mes adieux à tous ces amis si chers, tous les amis de l’armée du salut, ce cher pasteur Trocmé et sa famille et tous les autres.
Ainsi le soir du 11 septembre arriva et le lendemain à 4 heures du matin je devais quitter le Chambon-sur-Lignon. La dernière soirée nous la passâmes avec nos amis Rochat. La nuit fut très courte et après les derniers préparatifs de départ, je descendis à la cuisine où Georges était déjà arrivé. Le petit déjeûner fut vite pris car la gorge était serrée et le cœur bien lourd. Mr Rochat fit une dernière fois la prière, me recommandant à notre père céleste, puis nous partîmes à la gare. Mon cher Georges devait m’accompagner au Puy et rester avec moi jusqu’à mon départ. Nous arrivâmes donc au Puy et j’étais bien heureuse d’avoir mon cher fiancé près de moi………. »