Étouffé par un frère aîné très autoritaire, mais protecteur à l’extérieur, pas trop passionné par le lycée, je fis des pieds et des mains pour changer d’air, mais j’arrivais là avec quelque appréhension. Avant d’entrer au collège je vis le pasteur JÉQUIER, qui me décrivit la direction: du pasteur Édouard THEIS, il me dit:” c’est le type d’homme qui tourne sept fois sa langue dans sa bouche au propre et au figuré avant de parler”. Je fus alors plutôt rassuré. Le confort de l’internat du style camping scout, la cuisine confondant un peu la quantité avec la qualité, dans une vaisselle d’aluminium, les travaux ménagers et d’intérêt public, j’y ai assez vite pris goût. Même le climat de printemps désastreux (impossible de se promener sans rentrer trempé) était compensé par de merveilleux automnes ensoleillés et sans vent. Le corps enseignant de l’époque n’était pas sur diplômé, à en juger par le nombre de matières que chacun enseignait, en plus de leur qualification hors enseignement (pasteurs, ingénieur agronome Couderc, capitaine Boisset, colonel Mazuc, entr’autres). Mais ils étaient le plus souvent intéressants et motivants. Preuve d’efficacité, ils ont réussi à me faire passer du 1er coup les deux bacs, et en philo, 22 sur 24 ont été admissibles à l’oral en juin. Ne peut-on craindre maintenant qu’avec le statut de confortable lycée les nouveaux professeurs ne soient pas devenus des érudits chloroformes?

Monsieur LE VU, intendant, était un apprenti sourcier très doué: pour parfaire le traitement des eaux usées et vannes des baraques, il nous fit creuser en contrebas du terrain un puits perdu pour l’évacuation des effluents, en choisissant bien au préalable son emplacement suivant des critères très personnels. Nous avons trouvé la nappe d’eau à 1m50. Ainsi de suite jusqu’au 7ème trou qui donna satisfaction, tout fut raccordé, et quelques semaines après la baraque toute proche fut surnommée Bandkoia les bains pour son délicieux parfum soufré.

Monsieur THEIS, lors d’un conseil de classe, où l’on passait en revue les élèves, le nom de BRÉAU étant cité, dit “ah oui Melle Bréau, très sérieuse”, oubliant qu’il s’agissait d’un garçon, mèche vendue par la secrétaire. Mais un dimanche matin de janvier 1950, arrivant tranquillement au Temple pour assister au Culte du pasteur MAZEL, il apprit subitement qu’il devrait lui même présider le culte, qu’il improvisa avec d’autant plus de brio, que Mr Mindszenty venait d’être arrêté à Budapest, sujet de sermon passionnant et animé.

Arrivé en cours d’année en 2ème, et vue les décalages de programmes, j’abordais pour la 1è fois l’équation du 2è degré au cours de révision de Jean Pierre HAMMEL qui allait à une vitesse incroyable. N’osant pas paraître nul devant la classe, je laissais courir quelques semaines, puis en visite chez le pasteur Delizy à Freycenet, Mme Delizy m’expliqua le tout, je fus sauvé de l’échec.

Michel EUZENAT disposait d’une cabane de menuiserie près du futur bâtiment des classes. Il était chargé entre autres de l’entretien des fauteuils bois du cinéma paroissial du village, Il notait ainsi la qualité des films, constatant que les barres repose pieds étaient cassées le plus souvent lors des films à suspense.

François POUGET dit “le casseur”, je ne sais pas pourquoi car il n’est pas casse pieds ni brise fer, mais beau parleur. Soir de grand vent Madame Sabine DE LA TOUR arrive aux Heures Claires, disant “j’ai failli être emportée”, le “casseur” ajoute “c’est l’enlèvement des Sabines”. Il se prit une belle baffe, dont, loin d’être chagriné, il fut comblé de fierté. Les temps ont changé.

Des anciens avaient établi un plan de la rive est du Lignon, présenté en grand comme une “Carte du Tendre” en anglais, les Heures Claires prirent le nom de “TENTATION’S BAY”.

Pour avoir une bonne note au cours de Math élém au cours de Monsieur PARKER, il suffisait d’arriver en retard. -“Autant les professeurs se donnent du mal pour se lever tôt, autant les élèves traînent et sont en retard” -“Oui Msieur, c’est inversement proportionnel”- répondit Simon RÉGNIER qui décrocha aussitôt un 20.

Un soir, Pierre CORMAN et moi, condamnés à 1 heure de travail ménager, par le surveillant “Cougouar”, nous parlions en travaillant: je disais “faisons le travail proprement, qu’il se rende compte que c’est fait”, Pierre répondit “bien mais pas trop quand-même sinon il va nous le demander toutes les semaines” ces petits services. Cloisons et portes des baraques n’étaient pas très bien isolées phonétiquement, Cougouar avait tout entendu et le lendemain nous fait part de son approbation de ces propos qui lui avaient paru sympathiques..

Dans les travaux d’intérêt général, il fallut peindre en blanc brillant les cloisons d’isorel mou de l’infirmerie. Avec juste un pot d’un kg, ils avaient oublié que l’isorel boit comme un trou!

Jacques BONNAL, fils d’un docteur d’Alès, doué et sûr de lui, mais pas très bûcheur, passe l’oral du bac Philo à Clermont-Ferrand, un candidat de Clermont lui glisse à l’oreille que l’examinateur est communiste. Du coup il improvise à l’examen un formidable réquisitoire contre les trusts (c’était le nom à l’époque) auquel il ne croyait pas du tout, trop fantaisiste et bon vivant pour s’occuper des ces affaires là. 20/20, mais l’examinateur l’invite au café pour échange de vues, et après il ne savait plus comment s’en dépêtrer.

Fête des rois: 1 fève pour cent couverts, un petit l’a avalé par mégarde et n’ose le dire de peur du ridicule, “Cigogne” annonce “séance de radioscopie obligatoire cet après midi chez le Dr Bonniot", le petit se confesse après à Cigogne, secret vite éventé.

Mardi gras: j’étais à Luquet chef d’une table de petits de la Cosmos, près du passe plats et de la table directoriale. Il y avait pour l’occasion des frites bonnes et abondantes, et les petits ne cessaient de râler et réclamer du rab, “on n’en a pas eu, on n’est pas servis” cuistots pas dupes. Je leur ordonne de se taire et laisser faire: arrive au guichet un serveur complaisant et confiant, Roger KIRSCHNER, je lui dis “c’est vrai qu’il y a du rab?”, il se précipite et nous en apporte une pleine gamelle, depuis les petits de la Cosmos me réclamaient comme chef de table.

Monôme du bac section A, juste après l’écrit: Il était interdit aux internes comme aux externes d’aller au cinéma le samedi soir, le dimanche après midi était autorisé sans réserves. La raison officielle: il fallait être en bonne condition spirituelle pour assister au culte du dimanche matin: la vraie raison, il ne fallait pas se coucher trop tard le samedi, pour ne pas être assoupi pendant le sermon du dimanche. Notre monôme consista à aller au cinéma toute la classe en bloc le samedi soir, jamais ils n’ont fait une pareille recette, nous n’avons rien cassé, mais n’avons pas été trop taciturnes durant la séance, si bien que Monsieur DARCISSAC, le gérant, nous couvrit de sa voix venant d’en haut, en menaçant d’interrompre la projection, après quoi tout fut calme. Mais la direction du Collège a mis toute la classe en retenue 2 heures le dimanche après midi dans la salle d’étude de la Tagheia (les travaux d’intérêt ne seraient pas arrivés à occuper toute une classe) avec dissertation de 4 pages sur “rapports entre la liberté et la responsabilité” (sujet cher à Cigogne, qui devrait être actuellement à l’ordre du jour). La colle se déroule dans la décontraction, 4 pages de banalités rehaussées d’insanités. En cours de rédaction je me souviens tout à coup de Rabelais (je n’étais pas un féroce littéraire, mais Rabelais c’est mieux), l’Abbaye de Thélèmes, ma dernière page sera consacrée à la discipline rabelaisienne, pour finir sur “fais ce que vouldras” auquel j’ai ajouté “et vas au cinéma.” Je m’attendais à une nouvelle retenue, mais le soir au réfectoire, les enfants de la Cosmos, m’ont annoncé que mon pensum avait été très apprécié par Cigogne (on entend tout au travers des cloisons!), chargé de la corvée de surveiller les punis. Si bien que si nous nous sommes tapés 4 pages chacun, l’examinateur 120!

La Direction (tous de la croix bleue), n’était pas très portée sur les vins et alcools. Une chambrée de la Bandkoia l’a appris à ses dépens, pincée lors d’un repas bien arrosé d’anniversaire, conseil de discipline, et terrassement d’au moins 5 M3.

Le CFD (le journal !) existait déjà à mon époque, et était vivement recommandé par le pasteur THEIS. CFD (chemins de fer départementaux) en l’honneur du petit train, que j’ai connu avec les vieilles machines à vapeur (on arrivait tout noir après le trajet Dunières - Le Chambon, 40 km), attelé à des wagons de trains rapides (curieux pour un tortillard). L’année suivante j’ai connu les autorails plus propres et moins folkloriques. Un beau jour le Dodge du collège (camionnette command car de l’armée US), avec M. Marie au volant, a fait une rencontre fortuite avec l’autorail, au passage au dessus de la mairie. Dégâts insignifiants, vive émotion. Depuis, les autorails cornaient au moins 100 m avant le croisement, et s’arrêtaient complètement à chaque passage de route.

Lorsque je suis retourné en 1960 au Chambon, cette fois-ci motorisé, je fus surpris des chemins d’accès étroits et sans aires de demi tour: si les profs et élèves ont leur voiture comme dans bien des lycées, il doit y avoir un bel embouteillage. En tout cas en 1950, les voitures étaient rarissimes, et les vélos devaient être tenus à la main aux abords des bâtiments, il est vrai que le pasteur Theis tenait son antique biclo à la main dans les montées (fortes il faut le reconnaître), puis dans les descentes depuis qu’un dimanche venant au Temple présider le Culte, il ne put s’arrêter qu’au petit pont en contrebas.

Au collège il y avait comme véhicules : les 2 Citroën tractions AV, du pasteur TROCMÉ et de M SHOMER, professeur américain, la voiture particulière de M MARIE, intendant, une 5CV Peugeot 1930 nommée "Peuchère" (il l’avait soigneusement peint sur l’arrière), la camionnette Dodge et un break bois Chevrolet du collège (fournis par les Ricains). Un beau soir la Chevrolet fit un tonneau avec au volant les surveillants "Couguar", la carrosserie bois en piteux état, M Marie n’était pas enchanté.

Un jour en 1949 au réfectoire il y eut une manifestation pour réclamer une amélioration des repas (j’étais observateur silencieux), ils chantaient "nous avons faim" sur l’air des bateliers de la Volga. Monsieur MARRRIE (accent terrroir) se lança dans un éloquent discours finissant par "si vous ne gaspilliez pas tant vous auriez plus à manger" (logique), il fut frénétiquement applaudi, (j’avoue avoir moi même lancé la claque). Depuis tout le monde fut content.

Comme l’alcool était sous prohibition, l’eau des montagnes granitiques ayant un goût ferrugineux, nous avions à chaque repas des boîtes de jus de pamplemousse (bien sûr américaines) "PEEKS grappefruit juice", pas mauvaises du tout.

Je n’ai jamais sur l’ordre de construction des baraques, j’ai du reste oublié le nom de la baraque en contrebas de la Tagheia, près de la Bandkoia elle n’avait pas de chambres mais des salles de classe et un grande salle de réunions. Par mon flair d’architecte, je suppose que Kainha et Tagheia ont été construites en premier (rangs d’oignons), puis Cosmos qui a adroitement profité de la pente avec son soubassement (comme toutes les constructions anciennes mais pas comme celles de 1900 à 1940), et enfin celles du bas, non alignées (il est vrai qu’elles ont été montées par les américains, et les maisons du Shape en 1945 étaient aussi bien alignées que les Corons). Les heures claires étaient réservées aux filles de 47 à 50. En 1950 le collège, pour extension provisoire d’internat, avait loué le rez de chaussée de l’Hôtel Sagnes, route de St Agrève très près de la place (un prof de gym y était surveillant). Les cours étaient dans les salles d’études des baraques, on changeait souvent de salle entre cours, je pense que la baraque du bas était réservée aux petites classes, car je n’y ai jamais eu cours.

Je ne crois pas pouvoir trouver de photos ou documents de 1947/1950. En effet, les élèves n’avaient pas d’appareil photo à l’époque, seul Pierre CORMAN en avait un en 1950, et quelques de ses photos que j’avais vues étaient d’excellents noirs et blancs. Les photos que j’ai prises en 1960 lors d’un retour "touriste" (les touristes étaient mal vus par ceux du camp de construction et du cours de vacances, on les appelait "tourists go home") étaient des diapos kodak prises avec un Voigtlander Vito II (bonne optique mais viseur farfelu, il coupait toutes les têtes).