Témoignage de Fernand Clerc, élève au Collège d’août 1953 à juillet 1954
Depuis mon renvoi du lycée Claude Fauriel à Saint Etienne l’atmosphère à la maison n’était pas des plus gaie donné 2 solutions. La première était le Lycée de Roanne, qui avait la réputation d’être presque une prison, la deuxième était le Collège Cévenol au Chambon sur Lignon qui était un établissement privé protestant. L’oreille collée contre la porte de séparation j’avoue que j’étais assez inquiet sur le sort qui m’était réservé surtout lorsqu’à la fin de l’entretien mon père dit au docteur:" je vais réfléchir et je vous tiendrai au courant de ma décision ".
Pendant une quinzaine de jours, mon père n’abordait plus le sujet et je
n’osais pas poser de question sur ces intentions. Je me voyais déjà derrière
les grilles du Lycée de Roanne, comme dans une de ces maisons de correction qui
étaient décrite dans certains livre que j’avais pu lire.
Un soir mon père rentra plus tôt de son travail et s’enferma dans la salle à
manger avec ma mère. Je sentis que mon sort allait être reglé, j’étais sur des
charbons ardents en attendant le verdict. Enfin mes parents revinrent à la
cuisine et mon père m’annonça que le samedi suivant il allait me présenter au
directeur du Collège.
Le samedi, un car nous amenas au Chambon sur lignon. Le village était un peu
desert car nous avions quitté Saint Etienne à 7 heures du matin, le rendez vous
avec le pasteur Theis étant prévu pour 10 heures. Le car nous avait laissé au
centre du village et je tournais la tête dans tous les sens pour essayer de
découvrir ce fameux collège. mon père semblait lui aussi un peu désorienté. Il
entra dans un magasin et demanda où se trouvait cet établissement on lui
expliqua que celui ci était à environ 1 Km,5 après avoir traversé la voie du
chemin de fer. Nous voici donc en route vers mon avenir. Plus nous avancions
moins de maisons étaient visibles. Enfin, sur le coté gauche de la route, une
petite pancarte en forme de flèche indiquait " collège " en direction d’un
petit chemin mi caillouteux mi herbeux qui s’enfonçait dans les bois.
Enfin les arbres devinrent de plus en plus rare et nous aperçûmes quelques
baraques en bois et une maison en pierre au dessus du chemin.
Un élève qui sortait d’un de ces bâtiments nous dit que le Pasteur Theis
habitait dans la maison en pierre.
Nous étions enfin arrivés et maintenant je redoutais l’accueil qui allait
m’être fait. Comme nous approchions la porte s’ouvrit et le Pasteur Theis
s’avança. Mon père me présenta, le Pasteur me regarda et me dit: "Alors
c’est toi le roi de l’école buissonnière ? et bien ici tu n’auras aucun effort
à fournir si tu veux continuer, je veux bien te prendre au collège car je te
fais confiance pour être un peu plus sérieux dans tes études." Puis
s’adressant à mon père il continua " compte tenu du nombre d’absences au
Lycée je pense qu’il serait souhaitable qu’il vienne en cours de rattrapage au
mois d’Aout pour une remise à niveau". Mon père lui dit qu’il était tout à
fait d’accord avec lui. Bon ,et bien maintenant je vais vous faire visiter le
Collège.
- En arrivant vous avez aperçu les baraques qui servent de dortoir pour les
garçons,quant aux filles elles logent dans une ancienne maisons d’enfants qui
se trouve pas très loin du collège sur une autre rue qui descend au
Chambon.
Je fus très étonné d’apprendre que ce collège était mixte, moi qui pendant ma
scolarité précédente avais toujours côtoyé que des garçons que ce soit en
primaire ou en secondaire.
Nous arrivions maintenant vers un grand bâtiment flambant neuf et où
s’affairaient quelques ouvriers.
- Voici les nouvelles salles de classe qui devraient être en service à
partir du mois d’août, du moins je l’espère. Nous allons aller maintenant vers
les services administratifs et le réfectoire.
Nous étions maintenant sur un petit sentier qui longeait des cours de tennis et
nous pouvions apercevoir une sorte de grosse ferme plantée au milieu du
terrain.
-Ici c’est Luquet. La porte que vous voyez en bas donne sur le réfectoire,
et nous allons monter par le sentier qui donne accès au premier étage, où se
trouvent l’administration pour remplir les papiers.
Il nous présenta les membres de la direction qui le secondaient: Madame
Lavondes et Monsieur Perrenou. Les papiers furent rapidement remplis et je fus
soulagé lorsque nous prîmes le chemin du retour. Ouf ! j’échappais à Roanne et
maintenant j’étais impatient d’arriver au mois d’ août ! Nous étions à la
mi-juin l’attente ne serait pas trop longue.
Enfin le mois d’août arriva. La dernière semaine de juillet avait passé avec
rapidité car il avait fallu acheter des vêtements, marquer tout ce que
j’emmenais à mon nom et prénom. Puis ce fut le départ. Les formalités d’entrée
furent rapidement réglées et mon père me quitta pour reprendre le car pour
Saint Etienne. Maintenant je pouvais m’installer dans mon nouveau domaine qui
était la baraque qui s’appelait " KAÏNA ". C’était un bâtiment en préfabriqué
et dont le long couloir desservait des chambres pour quatre élèves et se
terminait dans une chambre pour six. A droite, en entrant, se trouvait une
salle destinée à recevoir les élèves pendant les heures d’étude. Chaque chambre
étaient équipée de châlits dont le sommier était constitué de planches en bois
qui étaient encastrées entre les montants du lit ce qui permettait de faire de
bonnes blagues, en tirant d’un coup sec un des deux montant du lit en son
milieu, le locataire du haut se retrouvait à l’étage inférieur avec matelas et
planches. Chaque élève avait son placard et une grande table occupait le centre
de la pièce.
Après une nuit passée dans un calme apaisant, nous voici en route pour le petit
déjeuner à Luquet. Je fus surpris de constater qu’en plus des bols, il y avait
aussi des assiettes à soupe et je me demandais dans quel but elles étaient là.
Je n’eus pas longtemps à attendre. On nous apporta une marmite qui contenait un
met que je ne connaissais absolument pas et qui, je l’appris plus tard, était
du porridge. Les bols étaient pour le cacao ou le café que nous avions pour
accompagner les tartines de pain avec beurre, confiture ou beurre de
cacahouètes ce qui fut ma deuxième découverte. Les journées passaient
rapidement, les salles de classes étaient très claires comparées à celles du
lycée de Saint Etienne qui se trouvaient dans des bâtiments qui remontaient au
temps de Napoléon 3. Il n’y avait pas de bureaux mais chaque élève avait une
chaise munie d’une tablette pour prendre des notes. Mes camarades de classe
provenaient de plusieurs pays. Il y avait un groupe d’allemands qui étaient
venus au mois d’août pour se familiariser avec la langue Française et certain
d’entre eux devaient effectuer une ou plusieurs années scolaires au collège, un
Américain, fils d’un industriel, qui devait aussi revenir en septembre,
quelques élèves venus combler des lacunes de leur année précédente. Nous étions
environs une vingtaine par classe. Pour se comprendre on utilisait plutôt
l’anglais et l’ambiance générale était très bonne. Le soir il nous arrivait de
descendre au village où nous étions toujours très bien accueillis. Le week end,
pour ceux qui restaient au collège, le samedi après midi était libre, et il
était possible de louer des vélos pour un prix modique, ce qui nous permettait
de découvrir les environs. Le dimanche, après le culte de 10h nous remontions
au collège pour le repas et à nouveau nous avions une demi journée de liberté.
Vers la mi-août il fut proposé à ceux qui le désirait d’aller assister au lever
du soleil en haut du suc du Lisieux. Nous nous sommes donc levés à deux heures
du matin, puis avons pris la direction du Mazet. Par où sommes nous passés ? Je
serais aujourd’hui bien incapable de le dire, Malgré la lune qui nous éclairait
il n’était pas facile de se repairer. Heureusement le surveillant qui nous
guidait était " du pays " et il nous amena à bon port. La montée pour arriver
au sommet ne se fit pas en silence, le fait de marcher sur les pierres en
phonolite donnait l’impression d’escalader un monceau de vaisselle cassée.
Enfin nous voici au sommet. Nous nous installons tant bien que mal car il reste
une demi heure à attendre et nous regardons l’est pour voir les premières
lueurs annonciatrices. Enfin le jour se lève, le soleil apparaît et une
sensation de froid nous entoure. Le paysage que nous découvrons est assez
féerique avec ses nuances de jaune et de rose. Malheureusement nous ne sommes
pas seuls, une nuée d’insectes semble sortir de partout, guêpes, taons et
abeilles commencent à s’approcher de nous et nous préférons redescendre pour
reprendre le chemin du retour.
Lorsqu’il faisait très chaud nous descendions sur les bords du lignon pour nous
baigner jusqu’au jour où nous vîmes que plusieurs colonies de sangsues se
prélassaient sur les pierres qui garnissaient le fond du ruisseau.
Maintenant le mois d’août se termine et je dois retourner pour quelques jours à
Saint-Etienne, en attendant la date de la rentrée scolaire.
Enfin me voici de retour au collèges où je retrouve quelques élèves du mois
d’août qui n’ont pas pu retourner dans leur famille à cause de
l’éloignement.
Je suis toujours logé a " KAÏNA " dans la même chambre. Nous sommes six et sur
les six je retrouve Jean Louis Taffarelli, Eberhard Richter, Klaus Becker qui
étaient avec moi au mois d’août plus 3 nouveaux élèves dont les noms
m’échappent aujourd’hui. L’atmosphère est un peu moins détendue que le mois
précèdent mais quand même très animée.
Le lendemain de mon arrivée les cours reprirent. Le nombre des élèves était
beaucoup plus important qu’au mois d’août . Il y avait 3 catégories différentes
: Les pensionnaires dont je faisais parti qui devaient suivre la formation
protestantes, et les externes eux même divisés en 2 catégories: Ceux qui
retournaient dans leur famille le soir et ceux qui résidaient dans des "
maisons d’enfants " qui étaient nombreuses au Chambon à cette époque.
La vie reprit son rythme normale, mais il y avait plus d’activités extra
scolaires les samedi et dimanche après midi. On pouvait notamment écouter de la
musique Américaine et j’étais surtout friand des négro spirituals qui étaient
souvent enregistrés pendant les offices dans des Églises et interprétés par les
fidèles sans aucune fioriture ce qui augmentait la spiritualité qui s’en
dégageait.
Le collège étant mixte il y avait quelquefois le dimanche des après midi "
square dance " qui permettaient d’apprendre ces danses westerns et de passer
d’agréables moments. Il y avait aussi le " COCO’S ABRIS " qui était ouvert à
Luquet à coté du réfectoire et offrait contre espèces sonnantes et trébuchantes
des jus de fruits, café, thé ou cacao et était un lieu de rencontre entre
élèves, mais aussi entre élèves et professeurs.
Il est vrai que dans ces années cinquante les hivers étaient beaucoup plus
rigoureux que maintenant et les chutes de neige souvent très importantes mais
cela faisait aussi notre joie car à coté du bâtiment de classe il y avait une
large saignée dans les arbres qui remontait assez haut sur le flanc de la
colline et permettait d’organiser des concours et des trains de luges. Et
combien de pantalons n’ont pas résisté à ce traitement ! Je ne saurai le
dire.
Vers la mi-avril on commença, pendant les cours d’enseignement religieux,
d’aborder la communion et il nous fut demandé qui était désireux de se préparer
pour cet évènement. Je dis tout de suite oui et le soir même je téléphonais à
mon père pour annoncer la nouvelle à la famille et lui demander de m’apporter
mon costume pour cette occasion. Mon père bien qu’issu d’une famille huguenote
de Vernoux dans l’Ardèche était devenu athée et je me demande encore qu’elle pu
être sa réaction à cette annonce. Mais le samedi suivant il vint au collège
pour m’apporter le costume demandé m’emmena au restaurant, me dit qu’il ne
pourrai venir car ma sœur (elle avait 12 ans de moins que moi) avait quelques
problèmes de santé.
Je suivis donc la préparation pour cette cérémonie à la maison de l’accueil qui
se trouvait au dessus de la route de St Agrève dans une rue qui partait du
collège pour arriver à la rue principale du Chambon. Nous étions environ une
quinzaine de futures communiants et quelque jours avant la date prévue on nous
demanda quels étaient ceux qui passeraient cette journée en famille. Je me
demandais pourquoi cette question mais la veille de la communion j’eu la
réponse sous la forme d’une invitation à déjeuner avec trois autres élèves chez
Madame Lavondes. J’appris aussi que d’autre communiants qui se trouvaient dans
le même cas avaient reçu la même invitation du pasteur Theis et de quelques
professeurs. En définitive nous avons eu une communion dans une ambiance
familiale et ce fût une journée merveilleuse dont je me souviens encore.
Pour ce qui était de mes études j’avais moi aussi remonté la pente mais la fin
de l’année scolaire arrivait et malheureusement je savais que je devais quitter
le collège !!!
Comments
on a tout!! l'émotion , la cote de molle, le culte et surtout la bio diversité ! tant chez chez les hommes que dans la nature.. merçi pour ce moment
genevieve bayledans votre récit du "lever du soleil au Lizieux,"vous parlez d'un surveillant qui était du pays ;c'était peut être mon mari :Jean Masse qui était de La Suchère ..IL me semble l'avoir entendu raconter une balade de ce genre.....
Annie Debrus@Annie Debrus :Effectivement c'était bien Jean Masse que c'était passée cette expédition en fait c'était lui aussi qui était le surveillant pour la baraque où nous étions ainsi que pour l'étude du soir. Depuis que je réside à Saint Jeures j'ai vainement essayé de retrouver sa trace mais cela est très difficile compte tenu du nombre de personnes se nommant ainsi. Mon N°de telephone est le 04/71/65/95/56 je serai très heureux de reprendre contact avec lui
clerc fernand