Les professeurs

Déçue par l’école, je ne pensais pas pouvoir prolonger ma scolarité jusqu’au Bac mais la qualité de l’enseignement et le charisme des professeurs me fit rapidement changer d’avis.

Melle James, professeur de lettres, chez qui nous passions en dehors des cours, nous fit écouter des enregistrements d’Antonin Artaud et l’on découvrait toujours un super bouquin sur ses étagères (ses murs étaient tapissés de livres).

Mme Sanum, notre prof d’anglais, qui nous fit découvrir le yoga. Elle donnait des cours à son domicile (de l’autre côté de la route qui passait devant les internats des garçons). Elle fit également quelques démonstrations de yoga : elle s’asseyait en lotus (sur le terre-plein de neige, devant les internats des garçons), en méditation et une personne posait sur son dos un torchon mouillé qui se mettait rapidement à fumer en séchant, ensuite les serviettes se succédaient durant ces séances . Nous apprîmes ainsi l’utilité de tel ou tel type de respiration.

Mr Bouhkechem, professeur de philo, qui nous enseigna tant de choses : le symbolisme sacré, Guénon, Plotin et bien sûr le programme de manière si pointue qu’ensuite mes profs de fac firent figure d’épouvantails et qu’il me fut difficile de réintégrer des études au sein d’établissements supérieurs traditionnels.

Le contrat de scolarité

Au Collège, personne n’était traité comme un numéro, il y avait bien sûr un règlement intérieur mais aussi des contrats établis entre le directeur et les élèves, pas forcément les mêmes pour tous, chacun devait s’y tenir mais comme nous étions partie prenante dans ceux-ci, c’était plus facile (nous comprenions). Par exemple, au lieu de sécher simplement les cours, certains avaient droit à un quota d’heures" sans excuse " sur une durée précise. Bien sûr, il y avait aussi des colles si on dérogeait, celles-ci s’effectuaient à la bibliothèque, un merveilleux endroit rempli d’ouvrages rares, dont s’occupait Mme Johnson. C’est grâce à cette éducation, que je découvris ensuite la pédagogie Freinet comme un prolongement inné de celle-ci.

Ainsi, depuis plus de 30 ans, je travaille de cette manière avec les élèves que j’ai en classe. Certes avec les aménagements qui s’imposent si l’on considère les programmes se succédant qui ne laissent guère de place à l’esprit véhiculé tout aussi bien par Libres enfants de Summerhill que par Célestin Freinet.

Les refugiés politiques

Je me souviens qu’en contrebas de l’ancienne infirmerie, il y avait un chalet de bois encore plus petit, presque au bord de la route (j’ai oublié le nom de ce bâtiment). Dans ces années-là, on suivait de près l’actualité Pinochet et des témoignages terribles nous parvenaient du Chili. Après le drame du stade de Santiago, un professeur chilien réussit à rallier le Collège. Mr Hollard et son équipe l’accueillirent, il fut logé dans ce chalet le temps de sa convalescence. Cet homme était brisé physiquement et moralement par les tortures endurées. Le collège, de par sa tradition d’accueil, lui permit de retrouver la santé. Sa famille (ou ce qu’il pouvait en rester) n’avait malheureusement pas pu fuir le Chili, il n’avait donc qu’une idée en tête : y retourner pour retrouver leur trace.

Durant l’année scolaire 1975/76, arrivèrent également dans les classes des élèves du Liban envoyés ici par leur famille pour les protéger des conflits qui s’annonçaient.

Nous nous sentions ainsi directement concernés par la politique dans le monde et la manière dont on traitait les personnes dans tel pays ou tel autre. Pourtant le Collège était géographiquement un petit microcosme loin de tout.

Fabienne Roy