Je suis arrivée au Colombier en 1948, à l’âge de 15 mois, et c’était encore à cette date l’internat de filles du Collège.  Tout l’étage était occupé par des filles du Collège et, gamine, je naviguais dans les chambres avec les « grandes » ; je me souviens de l’une qui, avec patience, m’avait appris à lacer mes chaussures.  Je crois que jusqu’en 1951, il y a eu des pensionnaires et après 1952, c’étaient des profs du Collège qui louaient des chambres : de mémoire, il y a eu Monsieur Lelièvre, Frédéric Hurny et bien d’autres, jusque dans les années 65-66.
Puis, plus tard, on a loué quelques chambres à Madame Casalis, qui a habité ici de 1957 à 1983.
Madame Casalis tenait une pension vers Bel Horizon, j’ai oublié le nom, sans doute un ancien s’en souviendra mieux que moi (appel à témoignage) ; un bâtiment où elle était maîtresse d’internat.  Au début, elle avait besoin d’un petit pied à terre pour ses moments libres et ses vacances ; en fait, il y avait tout un réseau de gens connectés avec le Collège, soit enseignants, soit pensionnaires.  A côté, il y avait Madame Carria (Les Sorbiers), une pension de garçons.  Miss Maber, prof au Collège, habitait tout à côté.  Il y avait toute cette relation entre les gens, qui soit hébergeaient, soit enseignaient, soit y travaillaient. Ma grand-mère, madame Marion, faisait partie avec Magda Trocmé du réseau des gens qui ont accueilli des enfants juifs pendant la guerre et qui ont donné des cours à ces enfants.  Ma grand-mère ayant fait des études de physique chimie, elle enseignait ces matières aux élèves, et au tout début, quand les élèves passaient d’une maison à l’autre pour suivre des cours, il fallait bien que tous ces gens soient en relation les uns avec les autres.
Puis quand le Collège s’est constitué en tant que collège, chacun a alors trouvé une place au sein de l’établissement, mais il est à noter qu’au départ, ma grand-mère faisait partie des gens qui avaient enseigné à l’école nouvelle cévenole, avec des gens comme Madame Barreau, par exemple.
Ma tante et ma marraine (Madeleine) sont revenues vers la fin de la guerre, en 1944 je crois, car durant la guerre elles n’étaient pas sur place. Et du coup, vers 1953, ma marraine est devenue l’infirmière de l’internat de garçons, ayant au préalable travaillé quelques années aux Genêts.
A cette époque, l’internat de fille n’existait que dans les pensions alentour, et puis Milflor a été construit et Madame Marie est devenue l’infirmière de l’internat de fille, mais ceci bien des années après.
Ma tante faisait alors la tournée de toutes les baraques, le matin, et puis la petite infirmerie a été construite (à noter qu’elle n’a pas été perdue ; elle a été a été récupérée, avant que certaines personnes décident de la brûler, démontée et placée dans un lieu secret, attendant les bonnes volontés pour la remonter quelque part, nous n’en dirons pas plus, n’est ce pas Dominique ? Donc elle est toujours prête à être remontée.  Une idée de chantier, pourquoi pas…)

Beaucoup de garçons se souviennent de ta marraine, qui était remarquable pour repérer les resquilleurs (rires).

Pour elle il y avait deux types d’internes : les garçons intelligents et paresseux, et les garçons bêtes et travailleurs.  Elle revenait toujours en disant, parlant d’un élève :  «  Oh lui, il est bête, mais alors qu’est ce qu’il travaille ! » , il y a toujours eu pour elle deux types bien distincts d’élèves. Mais elle aimait beaucoup les jeunes du Collège, elle accrochait bien avec certains, elle avait une relation particulière avec «  ses élèves ».

Mademoiselle Marion était un de ces personnages incroyables qui restent présents dans nos mémoires.  Et de plus elle avait un caractère très fort.

Oui, bien sûr et comme de plus elle était sourde, son infirmité la rendait un peu plus « accrocheuse ». Elle a été sourde jeune, c’était une maladie progressive, qui ne s’opérait pas. Elle aurait pu être appareillée, mais elle ne supportait pas les appareils. Il faut dire qu’à l’époque, ils n’avaient rien à voir avec ce que l’on connaît de nos jours.  C’était comme si on avait un walkman autour de l’oreille et comme en plus ça couinait dans ses oreilles, elle ne pouvait pas les supporter.  Elle l’éteignait tout le temps ou ne le mettait pas.  Ce handicap lui donnait un tempérament particulier, et puis il faut savoir que les deux sœurs ont été orphelines de leur père très jeunes.  Madette, qui était la deuxième, devait avoir 3 ou 4 ans quand son père est mort, et cela a contribué à forger son tempérament, tout comme sa sœur et sa mère également.  Le père était pasteur à Mars, il est mort en 1917 d’une pneumonie.
Il avait donc deux filles, Renée l’ainée et Madette (Madeleine) la deuxième. Renée était institutrice, elle avait fait une formation de jardinière d’enfant, et pendant des années, elle a été répétitrice de français dans des familles italiennes, et puis la guerre venant, elle est revenue ici, où elle a ouvert une petite école privée, dans laquelle sont passés de nombreux enfants de profs du Collège et d’étrangers qui venaient pour apprendre le français au Colombier chez ma tante. L’école était située au rez-de-chaussée de la maison.  Madette a fait ses études d’infirmière  à Bordeaux, et après avoir travaillé en Gironde, puis au Maroc, elle est rentrée vers 41-42 et a travaillé ici jusqu’à sa retraite.

Les anciens se demandent si Madeleine savait qu’on l’appelait « la cuisse »

Je pense, bien que je ne l’ai jamais formellement sût ; mais de toute évidence, elle le savait. Et de plus, elle n’y voyait pas de mal. Elle avait certainement demandé à un élève pourquoi on l’appelait comme ça, mais elle ne trouvait pas ce patronyme affligeant. De plus, les profs avaient souvent des surnoms : Sexy, Trottinette, Doudou, Dodo, Tartine… c’était courant au Collège, et pas vécu comme une injure.  L’explication de son surnom serait viendrait du fait qu’un élève étranger qui essayait de lui faire savoir où il avait mal sans arriver à se faire comprendre d’elle, lui répétait en faisant l’andouille :  « à la cuisse, à la cuisse ! » et elle, qui entendait ce qu’elle pouvait, se rendit compte qu’il se foutait d’elle.  Il semblerait que ce soit l’origine de son surnom, l’un des plus célèbres du Collège.  Ce serait parti de là, de ce jeu avec cet élève lui disant qu’il avait mal à la cuisse, et elle qui répondait : « non tu n’as pas mal à la cuisse, tu me dis n’importe quoi ! » ; et l’autre d’insister : «  si, si, j’ai mal à la cuisse ! ».
Je suis resté 20 ans au Chambon, et je dois dire que j’ai vu passer du monde.
Durant la guerre, il s’en est passé des choses au Colombier ! Et puis, comme c’était l’internat de filles, il y avait des garçons qui dressaient des échelles pour aller voir les filles, dont un certain Roger H., parce que soit disant il y avait sa sœur… Il faut dire aussi que les familles revenaient après. L’été, quand il n’y avait plus les filles, on recevait les parents des enfants qui venaient en vacances.  Durant toute mon enfance et mon adolescence, j’ai donc vu défiler beaucoup de gens au Colombier.  Au Chambon il y avait encore beaucoup de pensions de familles qui étaient toutes pleines en été, pleines de gens attachés au Chambon pour X raisons.
Je revois des familles très régulièrement, les Perrenoud, les Bean, et d’autres. Et aujourd’hui, ce sont les grands-parents qui ramènent leurs petits enfants pour leur montrer le Colombier.

Un fait marquant qui t’a impressionnée enfant ?

La construction du Batisco, c’était un immense chantier, une construction phénoménale, en pierre de taille.  Le chantier a duré deux ans environ. C’était une promenade classique du dimanche. Dodo Caritey en était le chef de chantier.

Pour conclure, dans toute mon enfance, la vie a tourné autour de Collège, de la construction en pierre à la construction d’êtres humains.  Et il y avait toujours de nouvelles personnes qui arrivaient, parlant plus ou moins le français.  Certains restaient, d’autres pas, ce sont les années où le Collège s’est agrandi. Car le Collège a toujours été un élément moteur du Chambon.  Pendant des années, énormément de gens ont vécu du Collège, toutes les pensions, les externats, les enfants logés chez l’habitant, comme aux Sorbiers, qui logaient une quinzaine de garçons, ou chez Hamker.  Cela faisait du monde qui vivait de ça et il y avait encore toutes les pensions d’enfants à cette époque : les Pins, les Écureuils, la Joyeuse Nichée, Tante Soly, etc.  Le village vivait beaucoup de tout ce qui touchait à l’enseignement dans le sens large du terme. L’école primaire du Chambon a toujours reçu plein d’enfants veant d’ailleurs. Le Chambon a toujours eu ce type d’ouverture, ce qui n’était pas le cas des villages alentours.

Dominique je te remercie.

Propos recueillis pas Sam Debard