L’esprit, international, antiraciste, était très séduisant. Nous qui avions vécu la guerre dans l’isolement, on partageait la vie d’Américains, de Noirs, de Russes, etc.

Et puis, dans des classes mixtes (révolutionnaires à l’époque), on côtoyait plein de filles sympathiques (les innombrables filles Theis -j’en avais deux rien que dans ma classe-, la robuste et bonne camarade Nina Evdokima, Delphine Seyrig dont tout le monde était déjà amoureux, Josy Agnel, qui n’était pas moins belle, etc.). Cette coexistence en tout bien tout honneur nous dégrossissait les manières et nous avançait dans la vie de deux ans.

L’enseignement , c’est vrai, était un peu faiblard. Mme L. était peut-être plus faite pour l’administration, où elle fit plus tard carrière, que pour donner des cours de français. Miss W., sèche comme un coup de trique, était très sûre en anglais, un peu moins en latin. M. E., un Alsacien comme moi, donnait d’excellents cours d’allemand, des leçons moins originales, recopiées dans les manuels, pour l’histoire et géographie. Je dois tout de même à Paul Ricoeur mon premier amour de la philosophie, qui me poussa peu après à engager des études en ce sens (il devait plus tard orienter mon DES), avant de pousser jusqu’au doctorat d’histoire et de publier une douzaine d’ouvrages dans ces disciplines. Si moyen que fut l’enseignement du Collège Cévenol, je lui dois donc ce qui fut ensuite l’essentiel de ma vie.

Même religieusement, je suis toujours resté marqué par mon passage dans ces lieux et demeure même fondamentalement parpaillot. J’expliquerai cela dans un raccourci certainement injuste: un catholique qui perd la foi, ce n’est peut-être plus rien, je veux dire : religieusement plus rien. A l’inverse, un huguenot qui ne croit plus à grand chose, c’est toujours un huguenot. Un cabochard de parpaillot, rétif à l’Eglise, aux prêtres, aux ordres, et qu’on reconnaît à trois lieues par son caractère. Et ce doit être pareil pour nos amis juifs. L’éducation, le sentiment d’appartenir à une minorité, plus ou moins bien vue, voire persécutée, ne s’oublient jamais. Je n’ai pas oublié.

Mais c’est vrai, j’eus à l’époque un conflit avec le Collège, en raison de l’enseignement de la religion.

D’abord, le temple était bien loin, et les sermons se passaient souvent, sans l’esprit qui vivifie, en navrantes paraphrases du texte biblique. Les cultes de baraques, tous les soirs, faute d’encadrement, confiés à de simples élèves et non à des pasteurs (sauf parfois l’excellent Samuel Mours), se déroulaient plus médiocrement encore. J’y étais souvent absent.

Cigogne (le directeur de l’internat), assez autoritaire, m’en tenait rigueur et me soumettait dans sa chambre à des séances de rééducation morale, dont la puérilité et l’autoritarisme ne faisaient que me conforter dans mon insoumission.

Ne comprenant pas que des jeunes gens de 17/18 ans étaient, au temps de Sartre et de l’existentialisme, nécessairement portés à une petite révolte, et que cela ne tirait guère à conséquence au milieu d’une forêt à mille mètres d’altitude, il finit par me séparer de mon meilleur copain, Michel André, autre esprit fort, et par m’exiler, après la Tagueia, à la Guespi, maison en dur, la plus éloignée de toutes, au delà même des Heures claires.

Ce fut non une punition mais un bonheur. On y rencontrait d’excellent camarades, Dhauteville, Layec, etc. A la vérité, on y mettait surtout les têtes brûlées qu’on voulait écarter du Collège.

En plein hiver, nous y étions en tout cas pleinement heureux. Nous y restions tard au lit avec quelques bons livres, jurant que la neige nous empêchait de rejoindre réfectoire et salles de cours. Mais, quand le soleil voulait bien se montrer, nous étions les premiers à faire du ski et même à jouer au rugby dans la poudreuse.

L’année me fut finalement profitable. A la fin, je fus reçu au bac, mais Cigogne, avant même le résultat, me fit savoir qu’en cas d’échec, on ne me reprendrait pas l’année suivante. J’ai gardé sa lettre de renvoi à mes parents. Il y expliquait, et c’était son seul grief, qu’on ne pouvait conserver un élève qui lisait de mauvais livres, entre autre Boris Vian et Henri Miller. Ce sont des auteurs aujourd’hui enseignés partout… Le monde a dû changer.

Malgré ce rejet infamant, je me suis toute ma vie considéré comme un ancien du Collège Cévenol, je fais figurer cette appartenance dans le Who’s who, et je reste infiniment redevable, sinon à quelques sectaires, du moins à ceux qui voulurent bien , avec beaucoup de patience et de générosité, me donner de solides bases dans tout les domaines… et endiguer un temps le côté tout fou mais pas méchant de ma jeunesse.